Gun-Club #5 -C’est la Fashion Week sur Arrakis

Au programme de quoi lire et de quoi voir avec Il était une fois en Amérique, Laisse le flingue. Prends les cannolis, Klara et le soleil, The Nice House on The Lake, Zone of Interest, Dune 2, Dune de Jodorowski, Pauvres créatures…

Gun-Club
6 min ⋅ 07/03/2024

Il était une fois en Amérique (The Hoods, 1952, New York, Crown Publishers) de Harry Grey (Sonatine, 2024)

Il était une fois en Amérique de Sergio Leone sort en 84. J’ai 14 ans et je le vois un peu par hasard, je ne sais plus où, la mémoire se reconfigure avec le temps mais c’est une période durant laquelle je vais absolument tout voir. En 1984, en vrac et pour tous les goûts ou presque c’est Birdy, Ghostbusters, Top secret, Blood Simple, Footloose, Amadeus, La vengeance du serpent à plumes, À la poursuite du diamant vert, Purple Rain, Terminator, Karate Kid, Les griffes de la nuit, Body Double, Le flic de Beverly Hills, Indiana Jones et le temple maudit, Gremlins, Electric Dreams, Marche à l’ombre, Police Academy, 16 Candles, Buckaroo Banzaï, La corde raide, Canicule, Signé Lassiter, Paris Texas, Le Meilleur, Greystoke, La compagnie des loups, Beat Street, et Dune de David Lynch. Le souvenir qui reste de cette première vision, c’est Jennifer Connelly qui joue Deborah. On a le même âge. Coup de foudre. Puis à partir de 16 ou 17 ans, c’est la phase identification avec les copains (n’est-ce pas Noodles !) et ce sera à celui qui aura vu le film le plus grand nombre de fois. Impossible de compter. Ça dure un bon moment. Enfin un nouveau visionnage pas si lointain et ce n’est plus la même chose. Voilà un film avec lequel on grandit puis on vieillit. Le temps a une autre saveur. Le retour de Robert De Niro (David Aaronson alias Noodles) à la gare de New York (séquence tournée gare de l’Est !), le coup de téléphone à Fat Moe et la quête de la vérité. De l’innocence de la jeunesse à la mélancolie d’un amour perdu et d’une vie construite sur un mensonge.

Le film de Sergio Leone est adaptée des mémoires d’Harry Grey (Herschel Goldberg) dont il est impossible de démêler le vrai du faux comme c’est toujours le cas dans ce genre de livre. D’autant que le personnage revendique son amour de la littérature et son désir d’écrire sur sa vie. Et c’est bien écrit, sans temps morts. Ensuite le jeu consiste à relever les différences entre le livre et le film. Sergio Leone a tranché dans le vif. Il a conservé cette histoire d’amitié et les caractéristiques des quatre personnages mais Deborah et Fat Moe, sœur et frère, sont très peu présents dans le livre. Il a amplifié la jeunesse du gang mais aussi la poésie, la mélancolie et l’action en faisant quelques impasses (je regrette que la prise du casino n’apparaisse pas dans le film). Comme tout bon réalisateur, Leone s’est emparé du livre pour en faire son chef d’œuvre. Mais le livre conserve sa force et son intérêt et dit beaucoup de cette période de l’Histoire de New York où régnaient pauvreté pour tous les immigrants et corruption généralisée.

Laisse le flingue. Prends les cannolis (Leave The Gun. Take The Cannoli) de Mark Seal (Capricci, 2023)

Le titre est tiré d’un dialogue improvisé du Parrain et raconte ce qui a d’abord été un calvaire avant d’être un triomphe du cinéma mondial. On en connaît d’autres, des tournages épiques chez Terry Gilliam (Les aventures du Baron de Münchhausen, Don Quichotte), Michael Cimino (La Porte du paradis), Werner Herzog (Fitzcarraldo, Aguirre) qui produisent aussi bien des chefs d’œuvre que des récits haletants et incroyables.

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Voir par exemple Au cœur des ténèbres le documentaire de Eleanor Neil la femme de Coppola sur Apocalypse Now. Il dit d’ailleurs que le Parrain a été pire à tourner. Difficile à croire mais à la lecture, on se demande comment le film a pu se faire et de cette manière, cerné par les producteurs au bord de la faillite et la Mafia et une folie pure autour de son casting (Burt Lancaster, Robert Redford, Ryan O’Neal et même Alain Delon). Coppola avait ses acteurs dès le début qu’il avait réuni autour d’un buffet à 400 dollars. La production n’en voulait pas. Ça a coûté 400 000 dollars et une perte de temps et d’énergie considérable pour au final revenir à l’idée initiale. Le tournage va débuter mais un Parrain (qui finira mal) y met les conditions. On y ajoute les dissensions internes et ça donne un cocktail explosif et un livre qui se dévore d’une traite.

Klara et le soleil de Kazuo Ishiguro (Folio, 2021)

Klara est une AA, une Amie Artificielle (comprendre une Intelligence Artificielle pour parler de notre actualité), une humanoïde créée pour tenir compagnie à des enfants désormais génétiquement augmentés et désocialisés. Le monde extérieur est à peine évoqué mais la catastrophe sociale et politique a eu lieu. On en saura pas plus parce que sous couvert d’un roman SF qu’il aurait pu écrire avec toute l’amplitude nécessaire du genre, Kazuo Ishiguro traite de ce que c’est qu’être « humain », de l’apprentissage de l’enfance, de la solitude, de la mort… Klara est la narratrice et avec elle, nous essayons de comprendre le monde qui nous entoure. Observatrice assidue, elle ne saisit pas tout mais avec conviction et poésie et trouve toujours le mot qui convient. Son rôle vise à accompagner une jeune fille malade… mais pas que.

C’est la mission qu’elle va remplir. Le sujet « robot, intelligence et empathie » a été de nombreuses fois traité en films, séries et romans. Celui-ci se démarque par son côté « conte initiatique » et d’une certaine manière n’est pas sans rappeler Toy Story. Est-elle plus qu’un objet transitionnel ? Le roman est formellement très simple et sans prétention, léger en surface mais qui laisse sur son passage une trace de mélancolie. Parce le personnage le plus humain du roman, c’est Klara.

The Nice House on The Lake, tome 1 & 2 de James Tynion IV et Álvaro Martínez Bueno (Urban Comics, 2023)

Une propriété façon Maison sur la Cascade de Frank Lloyd Wright, une mystérieuse invitation à y passer une semaine, un groupe de 11 personnes (amis ou connaissance) et l'hôte, WALTER. Il n'en faut pas plus pour imaginer que ça ne va pas du tout se passer comme prévu. Scénario prenant, dessins souvent percutants (malgré des choix de couleur discutables), une réussite de bout en bout.

Zone of Interest de Jonathan Glazer (2024)

Déjà plusieurs semaines depuis que je l’ai vu avec Noodles (encore lui) dans des conditions plutôt approximatives. Je ne sais pas si cela a influé sur ma perception du film. La première chose qui m’est venue à l’esprit, ce sont les images tournées par Samuel Fuller, pas encore cinéaste quand il arrive avec la Big Red One au camp de Falkenau. Le capitaine Kimbald R. Richmond « va faire quelque chose qui n’a jamais été fait dans un camp : il (les notables) les contraint à sortir tous les cadavres et à les habiller avant de leur offrir une sépulture décente. » Samuel Fuller n’a jamais regardé ces images jusqu’à 1986 quand Emil Weiss y consacra un documentaire (Falkenau, vision de l’impossible). Toujours est-il que je ne sais pas quoi en penser. J’ai adoré Under The Skin (2013) avec sa démarche très proche d’un art visuel et sonore conceptuel utilisant déjà le principe de la caméra « cachée ». Avec Zone of Interest, Glazer crée un dispositif qui fait office de protocole de tournage. Pour mieux se focaliser sur une foule d’éléments discrets mais lourdement significatifs. C’est une observation sans pathos de la banalité du mal pour paraphraser Hannah Arendt. Dès lors, je ne comprends pas l’avant-dernier plan de la préparation à la visite du mémorial d’Auschwitz. Ce n’est pas un film tranquille mais qui manifestement laisse des traces.

Dune 2 de Denis Villeneuve (2024)

Si tous les blockbusters américains étaient de ce niveau, ce serait formidable. Portant, j’ai un peu à redire au sein du concert de louanges qui entoure le film. On ne peut pas dire que Denis Villeneuve ne sait pas faire le spectacle mais je trouve qu’il a oublié la poésie depuis le génial Premier contact (Arrival), son meilleur film selon moi. Évidemment le contrat est rempli parce qu’il a introduit un discours politique sur le pouvoir, la manipulation, le fanatisme et le fondamentalisme - sans que ce soit non plus un essai de sciences politiques - et parce qu’il a le sens de l’image qui claque. Malgré tout et en poussant un peu la perfidie, j’ai eu l’impression d’assister à une succession de tableaux elliptiques. Côté casting, c’est la Fashion Week : Thimothée Chalamet (Chanel), Austin Butler (Saint-Laurent), Florence Pugh (Valentino), Léa Seydoux (Louis Vuitton), Anya Taylor-Joy (Dior) et Zendaya (Lancôme). Y en a pour tout le monde mais ce n’est pas toujours très crédible. Pas sûr que Villeneuve soit un très grand directeur d’acteurs et d’actrices. Au final, je ne vois que des stars à l’image et pas des personnages. Plastiquement impeccable mais froid. Il faudra maintenant attendre la troisième partie Le Messie de Dune. Et quand il s’agit de Dune, il faut revenir au documentaire (sur Arte) Dune de Jodorowski, la première version qui n’a jamais vu le jour, « le plus grand film qui n’a jamais été fait », un projet démentiel de 12 heures aux confins de la folie équivalent à une prise massive de LSD (avec parmi les « guerriers spirituels » du projet : Moebius, Giger et Dan O’Bannon au design, Pink Floyd et Magma à la musique et au casting David Carradine, Dali, Amanda Lear, Udo Kier, Mick Jagger et Orson Welles). Finalement c’est Lynch qui aura la lourde charge de faire un tout autre film. Malgré des effets spéciaux souvent ridicules et un kitsch involontaire (ce qui est incompréhensible étant donné qu’Aliens, Blade Runner et Tron étaient déjà sortis depuis plusieurs années), le film peut être réévalué à la hausse si on a le sens de l’humour. Lynch, qui n’a jamais eu aucune expérience de tournage à grande échelle a fini par s’en sortir après avoir refusé gentiment de réaliser Le Retour du Jedi.

Pauvres créatures de Yorgos Lanthimos (2024)

J’adore Emma Stone. C'est un conte fantastique rétro-futuriste (un peu trop) sur la (re)naissance et l'émancipation d'une femme dans un monde peuplé de « monstres » (les hommes). Une histoire de liberté. Visuellement magnifique, souvent drôle, cru, parfois long, c'est un film impressionnant.

J’ai aussi vu Au Poste de Quentin Dupieux. Il a l’air de bien s’amuser. Moi pas. Pourtant j’essaye. Donc impasse sur Daaaaaali ! Argylle de Matthew Vaughn (Kingsman) est raté. Napoléon aussi. Sur Netflix, Évitez Furies. Griselda se laisse regarder. Le show de Get On Your Knees de Jacqueline Novak est une découverte. 90 mn sans respiration. Pied au plancher, le tout filmé par l'actrice-réalisatrice Natasha Lyonne. Pas vu ça depuis Hannah Gadsby avec Nanette (c'est pas le même registre et c’est pas pour les enfants, juste pour prévenir). Et il manque à la liste Anatomie d’une chute et Le règne animal, deux grands et beaux films. Mais c’est déjà pas mal et ce n’est pas comme si personne n’en avait parlé.

Dans le rayon documentaires, à voir Banques et Mafias et Gene Tierney sur Arte. Et j’aurais aimé vous parler de La Bête de Bertrand Bonello mais il a tenu une semaine… Des notes de lecture sur Contre-atlas du numérique de Kate Crawford et La vie spectrale de Eric Sadin à lire sur oblique-s.org en page documentation.

Un podcast : Les résistantes https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/serie-les-resistantes

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Par Luc Brou

Cinéma, littérature, arts, sciences et technologies mais ça n’est pas exhaustif.

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